Interview de Antoine Rabain : De nouvelles approches de conseil pour réconcilier économie et écologie au sein des entreprises

Bonjour Antoine, en tant que président et fondateur de GECKOSPHERE®, comment voyez-vous l'impact de la transition énergétique verte sur l'avenir des technologies océaniques et maritimes ?

L'avenir de l'économie maritime dépend de sa capacité à se transformer conformément à l'urgence climatique définie au sein de l'accord de Paris, qui fête ses 10 ans cette année.
Y compris dans cette période dite de "backlash", tous les acteurs de référence et experts du milieu marin investissent massivement dans la décarbonation de leurs activités, et pour certains dans de nouvelles activités ou nouveaux métiers qui contribueront à décarboner l'économie mondiale au sens large, y compris terrestre donc : le XXI siècle sera un siècle maritime !
Dans ce cadre fondamentalement ambitieux pour les acteurs économiques de l'océan, cela ne doit cependant pas les dédouaner d'une interrogation profonde en parallèle sur l'utilité de l'ensemble de leurs offres dans un monde post-carbone.

En tant qu'expert en énergie et climat, pouvez-vous nous expliquer les principaux défis que rencontrent les entreprises technologiques dans la gestion de la transition vers l'énergie verte ?

Les entreprises qui ont décidé d'investir durablement dans la transition énergétique doivent faire face à de nombreux défis, et de différentes natures. S'il faut choisir les plus dimensionnants, je mentionnerais d'abord :
- le maintien dans le temps long des investissements dans de nouveaux moyens de production plus faiblement carbonés, et tenir y compris dans des périodes où certaines parties prenantes doutent, comme les politiques

- l'exploration a minima voire le déclenchement de transformation profonde des business models - on parle alors de "redirection écologique" ; la seule innovation technologique, certes essentielle pour répondre aux exigences de neutralité carbone, ne suffira pas pour tenir la dynamique d'atténuation redoutable fixée de manière consensuelle par les scientifiques et économiste spécialisés au sein du GIEC

- l'exploration vers plus de coopérations et/ou plus d'intégration sur les chaines de valeur, y compris avec ses "concurrents historiques" ou autres parties prenantes avec lesquelles l'entreprise a peu voire pas coopéré jusqu'alors : je pense notamment aux nouvelles offres issues de l'économie de la fonctionnalité et tournées vers les services à haute valeur ajoutée, qui englobent dans leur proposition de valeur la performance des systèmes sur lesquelles ils s'appuient (ex : une offre intégrée d'électricité bas carbone pour recharger une flotte de véhicules électriques)

Comment votre rôle de co-président de HEC Transition vous a-t-il aidé à influencer les stratégies de développement durables dans le secteur technologique ?

Le Club pro des anciens de HEC dédié aux enjeux de la transition écologique repose sur 3 piliers :
- éclairer les 80'000 alumni dans le monde, et notamment de grands décideurs privés et publics, afin qu'ils raffermissent leur convictions autour du besoin de transformation de leurs propositions de valeur
- accompagner la transition des enseignements de l’École, et ceci à tous les niveaux (Grands Ecoles, Masters, MBA, Exed...)
- influencer le monde, notamment par la publication de notes ou autres livres blancs thématiques co-construits par des experts de notre communauté

Tous ces leviers contribuent je l'espère à faire bouger les lignes à différents niveaux et dans le monde entier, grâce et avec la force de frappe d'une École de premier plan comme HEC Paris.
Ici aussi, la coopération sera clé.

Quels sont, selon vous, les enjeux les plus sous-estimés de la transition énergétique dans le secteur technologique et comment les aborder efficacement ?

Il y a 5 ans, l'un des principaux enjeux sous-estimés par les industriels portait sur les risques physiques du dérèglement climatique, notamment les impacts potentiels des événements extrêmes sur leurs actifs

Aujourd'hui, ce sont les risques de transition qui sont de mon point de vue pas encore assez qualifiés par les équipes dirigeantes des plus grandes entreprises ; a minima un travail d'exploration me semble nécessaire, avant même le déclenchement d'investissements parfois lourds et qui nécessiteront encore du temps pour être lancés - Je pense notamment à l'analyse d'impact de stress tests sur les business models, par exemple en cas d'accélération de la règlementation.
A noter que pour chaque contrainte ou menace, se cache des opportunités que les entreprises les plus investies saisissent déjà, au moins en partie, et seront les plus à même de se développer favorablement en cas d'accélération des trajectoires net zéro !

En tant qu'auteur de la Fresque de l'Énergie, comment cette expérience a-t-elle enrichi votre compréhension des dynamiques de la transition énergétique dans le monde technologique ?

La Fresque de l’Énergie, "fresque amie" de la Fresque du Climat, est un outil puissant pour accompagner des groupes de différentes niveaux sur les enjeux de la transition énergétique, en France et au-delà.

 

J’anime parfois cet atelier bénévolement devant des citoyens qui ne font pas la différence entre un kW et un kWh : l’outil permet alors de découvrir les fondamentaux de l’énergie et de mieux cerner les ordres de grandeur de la transition énergétique : bref un atelier « anti-fakenews », salutaire dans la période actuelle où l’infobésité sur ces sujets complexes rime trop souvent avec biais et mauvaises approches des options en termes de politique énergétique…

Grâce à la Fresque de l’Energie, vous vous poserez par exemple différemment la question récurrente sur le poids du nucléaire et des renouvelables en France ;  ou encore de la pertinence du véhicule électrique et de nourrir l’électrification rapide de nos usages !

 

En outre, dans mes accompagnements professionnels au sein d’organisations privées ou publiques, je commence le plus souvent par animer des ateliers dits « découvertes », qui reprennent globalement la même dynamique que les ateliers citoyens, en prenant toutefois le soin de faire des liens directs avec les enjeux internes de l’organisation, afin de non seulement comprendre le « pourquoi » il est nécessaire de se transformer, mais aussi d’explorer le « comment ».

 

Dans ce sens tourné vers la mise en mouvement et l’action, j’anime aussi, et c’est ce qui me motive le plus aujourd’hui, des ateliers dits « augmentés », notamment pour des cadre-dirigeants ou experts du secteur de l’énergie,  dans l’optique d’explorer différemment les différents chemins possibles pour mener à bien la redirection écologique de l’organisation, en maitrisant mieux les risques de dépendances vis-à-vis des énergies fossiles ou de certaines briques clés de leurs chaines de valeur, ou encore en qualifiant collectivement de nouveaux marchés de diversification, en pleine valorisation des savoir-faire historiques et des compétences internes de l'entreprise.

Ce que j’aime à dire en introduction d’une Fresque ou lors des conférences que je dispense avant un atelier : il y a autant de menaces que d’opportunités dans la transition énergétique : aux entreprises de savoir comment réduire du mieux possible leurs risques, et d’investir durablement les meilleures solutions pour contribuer à résoudre l’équation climatique !

 

La Fresque de l’Energie est finalement un outil modulaire et modulable, qui s’adapte autant à des néophytes complets du domaine, citoyens ou professionnels, dans une visée d’acculturation aux enjeux de la transition énergétique, qu’à des experts ou dirigeants prêts à travailler différemment pour explorer collectivement des leviers d’action et de stratégie d’entreprise, jusqu’à la transformation des business models ! Ce véritable « pas de côté » me parait aujourd’hui des plus pertinents pour accompagner les équipes dans des choix d’investissement à la hauteur des enjeux énergétiques, qui sont parfois surprenants lorsqu’on comprend mieux les dynamiques d’atténuation liés à l’énergie et à l’objectif de neutralité carbone à 2050 !

Pouvez-vous partager une expérience ou un projet phare chez GECKOSPHERE® qui illustre le potentiel des technologies vertes pour lutter contre le changement climatique ?

L'un des secteurs à fort contenu technologique dans lequel j'ai le plus travaillé ces 15 dernières années, repose sur le potentiel de contribution des énergies marines renouvelables.

Depuis 2020, la dynamique de développement de ces technologies confirme que l'éolien en mer en particulier est qualifié par les acteurs du secteur de l’énergie comme un "game changer" de la transition énergétique, et même une condition critique pour viser les trajectoires compatibles avec l'accord de Paris.

Loin de moi l'idée de dire que la technologie seule répondra à l'ensemble des attendus de la transition écologique ; il faut toutefois aussi reconnaitre et accueillir positivement les grandes innovations du secteur des renouvelables depuis 2010, dans l'éolien terrestre et maritime, ou encore dans le solaire photovoltaïque, qui font référence aujourd'hui aux filières les plus compétitives et dont le potentiel de développement est le plus important pour les 25 prochaines années, toutes filières confondues !

Quelles recommandations donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs technologiques souhaitant intégrer des pratiques durables et vertes dans leurs entreprises dès le départ ?

Mon meilleur conseil, s'il n'est pas déjà dans l'ADN de cette nouvelle génération qui décide d'investir l'entreprise pour contribuer à l'atteinte de nos objectifs climatiques : penser coopération et transformation sociétale, et pas que technologies !

je résume souvent par cette phrase simple cette approche complexe de la nécessaire systémie dans la redirection écologique des entreprises : "sans technologies, ça ne passera pas, mais si vous pensez que seule la technologie nous sauvera, ça sera encore plus inatteignable !"

Pour plus d'informations : https://geckosphere.fr/

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